Mi Chu Hoa

Mi Chu Hoa (A la recherche de la saveur perdue)
Il y a pres du marche de Saigon un quartier plein de ces vieux logements particuliers aux villes coloniales, les compartiments, (ca(n pho^’). Bien que n’ayant pas l’attrait des villas, ces compartiments degagent un charme certain, comme le temoigne leur usage comme exterieur par les films en cherche d’atmosphere comme l’Amant. Ce quartier du Vieux Marche (Cho*. Cu?) beneficiait de notre temps de nombreux arbres ombrages, qui rehaussaient son charme.
Dans ce quartier on trouvait parfois par surprise d’autres types de logements plus imposants. Par exemple, il y avait a deux pas du marche, mais dans un monde a part, la magnifique residence des Hui Bon Hoa. Cette immense batisse occupait la superficie de tout un pate ("block") de maisons, avec un grand jardin et une haute grille de fer forge couverte de plantes grimpantes. C’etait une grande villa de ce style franco-chinois repandu dans les annees 30 et 40, c’est-a-dire europeen avec des touches orientales. Derniere sa grande grille et son parc, la villa imposait un sens de mystere au quartier environnant, surtout le soir.
Je n’y suis entre qu’une fois, quand j’etais petit, avec ma grand-mere qui y avait des affaires. Je me souviens surtout d’impressions: un vestibule puis un hall enorme eclaire par une penombre pleine de fraicheur, avec un escalier sorti tout droit d’un film de Hollywood. Meme notre interlocuteur exudait un air de mystere. Mais sans doute etaient-ce les impressions d’un enfant pour qui les proportions de la maison semblaient etre d’une dimension demesuree. La legende de la famille Hui Bon Hoa, avec le mythe de l’ancetre qui commenca avec un commerce de verrerie de broquante et devint millionnaire, (cette famille est actuellement l’une des plus illustres familles sino-vietnamiennes), accentuait le sens de mystere.
Quartier paisible, a part du tohu-bohu du Marche Central, avec un air detache du reste de la ville. Parfait pour la suite de ce recit. Je ne vais pas parler des Hui Bon Hoa, d’architecture, ou meme de la residence vetuste. Je vais parler de ce qu’on trouvait en ce temps la de l’autre cote de la rue: rien moins que le meilleur mi` xa`o do`n (nouilles craquantes) du monde, connu parmi les inities sous le nom de "Mi` Chu’ Hoa?", en somme de bouffe, comme tout bon recit nostalgique doit en mentioner.
Il y avait donc un restaurant de l’autre cote de la rue, en face de la grille qui etait chargee de lierre de ce cote la. Le restaurant n’avait pas d’enseigne. Personne ne semblait en connaitre le nom officiel, mais Mi Chu Hoa etait suffisant pour eliciter des grognements de satisfaction parmis les fins gourmets. Il y avait quelques tables a l’interieur sous des lampes de neon assez blafardes, et quelques tables a l’exterieur sous d’autres tubes de neon, et c’est tout. La nuit, quand le reste du quartier est enseveli dans l’ombre, il ne reste que cet accueillant oasis de lumiere, la grille et la batisse imposante de l’autre cote. On se croirait presque dans une autre monde, un reflet d’Europe, loin des soucis journaliers, ou de lycee dans mon cas. Et dans cet oasis on mangeait un plat digne des dieux.
Il y a un art au mi xao don. Trop souvent les nouilles frites sont pleines d’air et trop legeres. Ou bien elles sont trop grasses, degoulinant d’huile ou de graisse. Mais a Mi Chu Hoa, les nouilles sont faites maison. Elles sont larges, cylindriques comme des spaghetti, solides, croustillantes, avec un arriere-gout de cacahuetes. Les plats coutaient entre 100 et 300 piastres. Mais pour qui sait commander, demandez a la patronne de faire un plat de 500 piastres et emerveillez-vous.
Imaginez une grande assiette ovale. Comme un nid d’oiseau y est installee une profusion de nouilles a l’aspect brun fonce, le tout sous un monceau , une montagne, de petits bouts de porc, de fruits-de-mer (crevettes, seiches), differents legumes croquants, le tout avec une profusion de couleurs oranges et vertes, dans une sauce brune d’ou s’elevent des fumees chargees d’une odeur d’huile d’huitres. Les papilles gustatives remuent juste a y penser.
Et le bruit. Apres l’odorat, la vue et les couleurs, il y a avant meme le gout, l’ouie. Le son des craquelement des nouilles qu’on separe. Ce son particulier d’une masse dense et pourtant legere, cr……accc, qu’on met dans son bol et qu’on eleve vers les levres. Le son des nouilles presses dans la bouche et lentement comprimees par les machoires. Et enfin…la saveur qui atteint le cerveau comme un jet de stimulants. Une symphonie de saveurs: sale’, sucre, aigre, piquant. Le corps frissonne en reaction a ces stimulants sensuels. Et longtemps, longtemps apres, la saveur et le gout restent encore comme un relent d’ambroisie—avec un arriere-gout de cacahuetes.
Je dois remercier Diep van Quy pour m’avoir fait decouvrir ce havre. Je me souviens bien de la premiere fois qu’on y est alle: un de ces jours si doux, ou tout semble bien marcher. J’ai une vision d’une conversation qui commence dans la cour entre 2nde C3, et 2ndeC4. J’ai meme une vague recollection de Minh Thuy et Tuong Vy, Minh Thuy dans sa cacacteristique jupe plissee bleue et blouse blanche (c’est vrai Leon. Parce qu’on etait ebloui en C3 ne veut pas dire qu’on ne savait pas ce qui se passait en C4). Mais enfin, la conversation resulta en la decision des garcons d’aller en bande pour voir ‘the Big Boss (Du*o*`ng So*n Da.i Huynh)" le nouveau film de Bruce Lee. Les filles n’etaient pas de la partie bien sur parce qu’en ce temps la, garcons et filles ne sortaient pas ensemble. Il y avait donc Quy comme chef d’expedition, un copain tres marrant de 2nde C4 dont je ne me souviens helas plus du nom, puis des recrues d’autres classes, comme Le Quan Minh, le guitariste qui m’emmena sur son PC (le genre de mobylette, pas l’ordinateur), et Ho Si Khuong, le fils d’un des profs.
On partit donc pour le cinema Nguyen van Hao, a la séance de 16h parce que les classes finissaient tot ce jour la. Bien sur tout le monde apprecia le film du debut de Bruce Lee. On etait vraiment emballe a la fin. On voulait discuter de ce nouveau genre de film. Ce fut peut-etre Quy qui suggera Mi Chu Hoa, un endroit inconnu pour moi, pour continuer la partie. Mais deja a ce jeune-age, je ne pouvais pas refuser un bon restaurant. Donc on se retrouva la pour feter Bruce Lee, et en fait notre jeunesse et notre amitie.
J’y retournai souvent, avec plusieurs autres amis, Nguyen Thanh Son je crois, mais surtout mon compere Pham Thanh Van. On y elaborait plans et projets, des fois pour changer le monde, mais souvent juste pour attirer l’attention de la gente feminine. On y soupirait souvent, on y riait toujours.
Le restaurant n’existe plus. La villa des Hui Bon Hoa est maintenant un musee. Le lierre a deperi sur les grilles la derniere fois que je passai a Saigon, mais dans mon esprit et dans mon ame, il y a toujours ce refuge gastronomique proletaire. Bien de moulins a vent qu’un Don Quichotte adulte chargera furent entrevus dans ce havre de l’autre cote d’une grille chargee de lierre. Avec bien-sur un arriere-gout de cacahuetes.
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