Le Grand gala de 1943 (chronique)

I thought a lot about my parents these holidays. This piece is
actually for my father's eyes, but I thought some of you may find it
interesting.
Le Grand gala de 1943
A mon pere qui y a participe
Saigon, 1943. Les troupes japonaises occupent l'Indochine francaise mais laissent les renes de l'administration aux Francais qui essaient desesperement de maintenir le status quo colonial. Neammoins, face aux sirenes de la Sphere de Co-prosperite pronee par le Japon, l'administration coloniale se crut obligee d'encourager des manifestations indigenes centrees, soi sur les sports avec le mouvement Ducoroy, soi sur les presentations culturelles. Dans ce contexte, la municipalite de Saigon donna son accord a un gala organise par la Federation des etudiants et lyceens de Saigon. On escomptait des danses folkloriques et quelques chansons traditionnelles, de quoi promouvoir la couleur locale bon chic bon genre. C'etait sans compter sur un jeune etudiant de lettres francaises myope et sudiste. Son nom: Luu Huu Phuoc.Il a ete invite par le president de la federation des etudiants, Huynh Van Tieng, a fournir la musique pour le gala.
Luu Huu Phuoc est maintenant connu, Il y a Rouget de Lisle et il y a Luu Huu Phuoc, Ses chansons patriotiques font part du patrimoine culturel le plus precieux du Vietnam. Mais en ce temps la personne ne le connaissait. Pour comprendre ce qui va se passer, il faut se souvenir que la musique vietnamienne, reservee au "nhaque" et aux "thiba" n'a jamais ete presentee au Theatre municipal de Saigon. On y allait pour entendre Gounod ou Massenet et pour les modernes, Tino Rossi ou Lucienne Boyer. Pour la premiere fois des chansons vietnamiennes seront en vendette.
Phuoc est ne au Sud mais l'annee precedente il a interrompu ses etudes a l'Universite indochinoise de Hanoi pour rentrer avec quelques amis a Saigon en velo. Il a ecrit une chanson sur cette epopee: Il faut ranger les plumes pour aller au devant du destin. Le destin l'attendra cette soiree de 1943 au Theatre municipal.
Huynh Van Tieng avait bien fait. Tous les grands etablissements scolaires (il n'y avait qu'une poignee d'etudiants dans ce temps) de la ville participait au gala. La majorite du travail et du service d'ordre etait assumee par le Lycee Petrus Ky. Mon pere y etait. Il y avait meme des participants des lycees francophones, Chasseloup-Laubat ou` l'heritier du trone cambodgien etait pensionnaire et le Lycee Marie Curie donc les ecolieres agacaient beaucoup de gens avec leur caquetteries en francais ou en vietnamien sans accent avec des doses de 'toi' et 'moi' au lieu des prenoms vietnamiens corrects. Mais tout le monde cooperait bon enfants.
On fait salle comble. La soiree saigonnaise est moite. L'audience est enthousiaste mais polie. Le gala commence par quelques danses folkroriques et quelques chansons populaires en francais. L'audience reagit avec enthousiasme. Puis on annonce une piece historique celebrant la victoire de Bach Dang sur les Mongols. L'audience reagit avec encore plus d'elan. On suivit par une autre chanson celebrant la victoire de Chi Lang sur les chinois. Ces chansons sont tres connues,mais elles ne l'etaient point en 1943. La foule reagit. Cette fois les applaudissements sont prolongees. La foule s'echauffe. On annonce l'entracte.
Apres l'entracte on enchaine par une piece de theatre de Luu Huu Phuoc: Dem Lam Son, La nuit de Lam Son, lieu d'ou` est parti le grand roi Le Loi pour reconquerir le Vietnam de la domination des Ming chinois. La piece avait plusieurs actes. Dans le premier acte le vieux Nguyen Phi Khanh exile en Chine pour activites politiques se tourne vers son fils Nguyen Trai, et se faisant adressant l'audience lui fait promettre de dedier sa vie a l'independance du pays. Silence ecrasant dans l'audience avec quelques renifflements.
Au second acte, Nguyen Trai se met au service de Le Loi. Celui-ci degaine son epee et adressant l'audience declame: "je jure de ne rengainer cette epee que quand notre pays sera independant." L'audience se dechaine. Des echos de "je le jure" fuserent. L'audience commence a` marteler le parquet de la salle rythmiquemnent pendant de longues minutes, ceci tout au long de la piece, pour presque chaque ligne de dialogue et quand enfin Le Loi declare le pays independant, l'audience est debout criant, gesticulant, hurlant.
Le numero prochain etait Hoi Nghi Dien Hong, la Conference de Dien Hong. Maintenant tres familier aussi mais c'etait la premiere fois que cette piece etait presentee en public a Saigon. C'est une representation musicale de la grande consultation par le roi Tran des notables du royaumes sur les moyens de combattre les envahisseurs mongols. Dans la piece le roi chantait une question et le choeur lui repondait. Ce soir le chanteur jouant le roi se mit tout au devant de la scene, et chante ces lignes:
- Truoc nhuc nuoc nen hoa hay nen chien
- Devant l'humiliation nationale, offrirons-nous paix ou la guerre?
La reponse est tonitruante: Quyet chien -- la guerre
- The nuoc yeu lay gi lo chien chinh
- Avec un pays faible comment faire la guerre?
- La reoonse hurlee: Hy sinh -- le sacrifice
L'audience crie, hurle, pleure, sanglotte, rie, applaudit. Les musiciens, le choeur, pleurent aussi. On martele le parquet. On bondit, on gesticule.
Le choeur enchaine par une chanson appelee timidement dans le
programme la Marche des etudiants.:
Nay thanh nien oi dung len dap loi song nui
Dong long cung di ta di mo duong xay loi
Vi non song nuoc xua the muon nam cho quen
Nao anh em bac nam cung nhau ta ket doan
Thanh nien oi hay hien than duoi co
Thanh nien oi mau lam cho coi bo
Thoat con tan pha
Ve vang noi giong
Xung danh ngan nam dong giong Lac Hong.
Jeunes gens sacrifiez vous
Jeunes gens protegez nos frontieres
Sauvez notre pays
Glorifiez votre race
Soyez dignes de vos ancetres millenaires
L'enthousiasme est a son comble. On hurle, on crie toujours, Quelqu'un lance une chaise dans la foule, D'autres font suite, On commence a casser. C'est l'emeute. Le service d'ordre intervient. La police arrive. On arrete la representation. On evacue la salle. Dans une semaine tous les responsables et organisateurs seront arretes par la Surete. Certains seront emprisonnes comme subversifs a Poulo Condore.
Mais pour ceux qui ont participe a cette soiree-la, le souvenir les marquera toute leur vie. Ce fut une soiree de decision. Derriere se gala s'entrevoient Aout 45, le Comite du Sud, Thu Dau Mot, La Plaine des Joncs, la difficile 'pacification'. Ce soir la`, dans l'esprit de ces jeunes de Saigon, l'elite intellectuelle du Sud, dans une salle surchauffee la Cochinchine cessa d'etre francaise.
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