Un ete 73
Ôi những người tôi chỉ chào một bận
Chân xa mau chưa kịp bước giao thân
(lu dans un magazine litteraire a Saigon en 1973)
L’une s’appelait BN. Elle etait un peu plus agee que moi. Elle avait une tete d’Eurasienne, donc tres belle, et avec un air de sophistication. Elle avait adopte cette facon bien gallique de tenir une cigarette que plus tard, etant non fumeur, j’apprendrai a redouter, mais qu’en ce temps-la apparaissait comme un paroxysme de civilisation: le coude tout pres du corps; le poignet courbe pour former une sorte de S majuscule avec le bras; les doigts renfermes transperces par la cigarette; le bout des doigts frolant la joue, pour attirer l’attention vers les yeux au regard garboesque, En tout cas, comme education sentimentale elle servait bien. En bref, elle m’eblouissait. Son pere, un ami de ma mere, etait un manager de la banque Viet Nam Cong Thuong a Saigon.
L’autre, l’amie de BN, est plus floue dans ma memoire. J’en suis un peu honteux mais je me souviens a peine de son visage et plus du tout de son nom. Elle etait en TD
dans notre promotion et peut-etre qu’elle se reconnaitra dans ce petit bout de prose. Mais entre nous trois nous avions engendre un de ces moments qui restent dans la memoire toute une vie. Faute de mieux je l’appellerai Y.
C’etait a Dalat en 1973. Apres les Accords de Paris, il y eut un bref moment d’accalmie dans la guerre. Pour la premiere fois depuis le Tet Mau Than la route de Dalat etait ouverte et securisee. Beaucoup de familles de Saigon prirent leurs vacances a Dalat cet ete-la. En particulier il y avait toute la famille de Cao Thien Loc et toute la famille de Phan Minh Hien. Ils se deplacaient dans deux minibus pleines de gens et de joie. Je les rencontraient souvent aux differents points d’attraction de Dalat. Les enfants de M. Ho Tan Phat, le directeur de la centrale electrique de Da Nhim et un genre de cousin de mon pere, etaient la aussi. Tuyet Mai, la future Mme Vinh Khiem etait aussi la, ses parents sejournant dans la villa des futurs beaux-parents de Thuan Hoa (Saigon est tres petit). Je fis la connaissance de Tuyet Lan, une jeune fille mignonne comme un bouton de rose, dont le pere architecte deviendra renomme plus tard en France pour le plan d’urbanisation de la station de Meribel. En ce temps-la il venait de completer la maison de mes parents. Bref, il y avait une foule tres plaisante.
Mais surtout je rencontrai BN et Y. En ce temps la je n’avais aucune experience de filles. Plus tard au USA j’appris les termes nerd ou geek. En 73 c’etait peut-etre le terme plus approprie pour moi. Un petit gars chetif et malingre avec une tete trop grande pour son corps et qui en plus etait trop remplie. Les grosses lunettes ne donnaient pas l’impression contraire. Cela va de soit que j’etais puceau. Rencontrer BN etait un microcosme, un modele reduit et maintes fois simplifie de la rencontre entre Einstein et Marilyn Monroe. Je n’en revenais pas.
Ma mere rencontra M. Phat, le pere de BN par hasard, pres du marche central de Dalat. Exclamations de joie, invitations, causeries, et suggestions que les “enfants” pourraient “jouer” ensemble. “De may dua nho no choi chung, tui no cung lua.” BN me traita immediatement comme un ami de longue date. J’ai tout de suite adore la camaraderie franche avec elle, qui contrastait avec les interactions timides et plutot guindees que j’avai eu avec les filles jusque la. C’etait un style tres “francais” que j’adorais. Cinq minutes apres l’introduction, BN suggera qu’on aille quelque part discuter de ce qu’on va faire ensuite hors de la portee des adultes. Et on a fait des plans de visites de sites. J’etais tout a fait a l’aise donc j’ai commence a plaisanter . Maints fous rires et plasanteries reciproques. Je decouvris que c’etait beaucoup mieux que les virees avec une bande de garcons.
Pendant deux jours nous explorames les recoins de Dalat, sans les parents. Le deuxieme jour, je les invitai a diner a l’Hotel Palace ou ma famille sejournait. C’etait la premiere fois que j’ai invite une fille a sortir le soir et maintenant j’en avais deux. Ce fut magnifique parce que tout marcha bien.
Notre chauffeur les amena a l’hotel a l’heure. Elles etaient habillees pour la soiree, et j’avais un veston. J’etais fier comme Artaban parce que nous etions, ou plutot elles etaient -- surtout BN -- magnifiques et radieuses. Des hommes murs auraient ete fiers de les avoir comme compagnes. Elles etaient deja des femmes et avec elles je me sentais moins jeune garcon. Je commencai a apprecier etre jeune homme. Je leur offris le bras et avec une belle demoiselle a chaque bras je penetrai dans la grande salle a manger.
Le Palace Hotel de ce temps-la etait vetuste, avec des signes d’age partout. Mais il avait un charme certain. Il y avait de gros fauteuils de cuir dans le lobby, et des affiches avanees de longue date qui proclamaient “chasse au tigres en elephant a Ban Me Thuot!” Le restaurant etait une salle tres grande avec des rideaux rouges qui auraient du etre remplacees vingt ans auparavant.
Le menu etait en apparence exquis avec une petite carte au milieu de la table declinant dans les meilleures traditions des arts de la table hors d’oeuvres, entrée, plats, fromage et dessert, avec vins. Le probleme c’est qu’en actualite le menu ne changeait presque pas chaque jour, bien que le petit carton recitait quelque chose de different. Ma famille etait restee au Palace une semaine. Et tous les soirs on servait la meme soupe aux legumes, mais le nom changeait: minestrone, soupe printaniere, potage quatre-saisons. Le cuisinier etait beaucoup plus ecrivain que cuisteau.
Donc ce soir la nous primes de la soupe printaniere. C’est etrange que je ne me souviens plus du nom de mes hotes mais je me souviens exactement du nom de la soupe. Et quel sentiment de puissance quand mes hotes de laisserent passer la commande! “Et mademoiselle prendra…” Pour cet adolescent que j’etais, ce petit geste dans un grand hotel suranne avec des compagnes a faire tourner la tete aux touristes japonais, fut l’un des grands moments de ma jeunesse, un moment extraordinaire, suspendu dans le flot des souvenirs. Ce fut Lance Armstrong passant l’arrivee du Tour de France la premiere fois; ce fut les Red Sox gagnant le World Series. Ce fut la derniere fois que je vis Dalat pour de longues, tres longues annees.
Je perdis BN de vue. Elle est quelque part en France, peut-etre n’ayant aucune recollection de moi. Quant a Y je l’ai croisee plusieurs fois a Marie Curie mais on se parlerent a peine. Si tu te reconnais dans cette histoire,Y de TD, ecris moi. Mon ete de Dalat resta comme une perle solitaire dans son ecrin. Les autres caracteres de l’histoire comme Loc (mais non Hien) et Mai je revis bien sur plus tard assez souvent. Tuyet Lan je rencontrai une fois en France.
C’est etrange comme les plus petits moments peuvent laisser les traces les plus profondes.
> Reaction et avertissement d'un lecteur: "Tu m' avais deja raconte cette histoire en 2007 lors de ton arrivee ...
Maintenant je prends connaissance de ton style ecrit. J' ai beaucoup apprecie ce melange d' Alain Fournier, Proust et Flaubert. Du grand art.
A la fin tu avais parle d' une perle dans son ecrin. Je te propose de l' y laisser. Les plus beaux souvenirs ont un parfum d' inacheve. On se souvient d' une image, on vit avec la realite. Ne reveille pas un 'songe d' une nuit d' ete'. C' est plus beau comme cela."
Chân xa mau chưa kịp bước giao thân
(lu dans un magazine litteraire a Saigon en 1973)
L’une s’appelait BN. Elle etait un peu plus agee que moi. Elle avait une tete d’Eurasienne, donc tres belle, et avec un air de sophistication. Elle avait adopte cette facon bien gallique de tenir une cigarette que plus tard, etant non fumeur, j’apprendrai a redouter, mais qu’en ce temps-la apparaissait comme un paroxysme de civilisation: le coude tout pres du corps; le poignet courbe pour former une sorte de S majuscule avec le bras; les doigts renfermes transperces par la cigarette; le bout des doigts frolant la joue, pour attirer l’attention vers les yeux au regard garboesque, En tout cas, comme education sentimentale elle servait bien. En bref, elle m’eblouissait. Son pere, un ami de ma mere, etait un manager de la banque Viet Nam Cong Thuong a Saigon.
L’autre, l’amie de BN, est plus floue dans ma memoire. J’en suis un peu honteux mais je me souviens a peine de son visage et plus du tout de son nom. Elle etait en TD

C’etait a Dalat en 1973. Apres les Accords de Paris, il y eut un bref moment d’accalmie dans la guerre. Pour la premiere fois depuis le Tet Mau Than la route de Dalat etait ouverte et securisee. Beaucoup de familles de Saigon prirent leurs vacances a Dalat cet ete-la. En particulier il y avait toute la famille de Cao Thien Loc et toute la famille de Phan Minh Hien. Ils se deplacaient dans deux minibus pleines de gens et de joie. Je les rencontraient souvent aux differents points d’attraction de Dalat. Les enfants de M. Ho Tan Phat, le directeur de la centrale electrique de Da Nhim et un genre de cousin de mon pere, etaient la aussi. Tuyet Mai, la future Mme Vinh Khiem etait aussi la, ses parents sejournant dans la villa des futurs beaux-parents de Thuan Hoa (Saigon est tres petit). Je fis la connaissance de Tuyet Lan, une jeune fille mignonne comme un bouton de rose, dont le pere architecte deviendra renomme plus tard en France pour le plan d’urbanisation de la station de Meribel. En ce temps-la il venait de completer la maison de mes parents. Bref, il y avait une foule tres plaisante.
Mais surtout je rencontrai BN et Y. En ce temps la je n’avais aucune experience de filles. Plus tard au USA j’appris les termes nerd ou geek. En 73 c’etait peut-etre le terme plus approprie pour moi. Un petit gars chetif et malingre avec une tete trop grande pour son corps et qui en plus etait trop remplie. Les grosses lunettes ne donnaient pas l’impression contraire. Cela va de soit que j’etais puceau. Rencontrer BN etait un microcosme, un modele reduit et maintes fois simplifie de la rencontre entre Einstein et Marilyn Monroe. Je n’en revenais pas.
Ma mere rencontra M. Phat, le pere de BN par hasard, pres du marche central de Dalat. Exclamations de joie, invitations, causeries, et suggestions que les “enfants” pourraient “jouer” ensemble. “De may dua nho no choi chung, tui no cung lua.” BN me traita immediatement comme un ami de longue date. J’ai tout de suite adore la camaraderie franche avec elle, qui contrastait avec les interactions timides et plutot guindees que j’avai eu avec les filles jusque la. C’etait un style tres “francais” que j’adorais. Cinq minutes apres l’introduction, BN suggera qu’on aille quelque part discuter de ce qu’on va faire ensuite hors de la portee des adultes. Et on a fait des plans de visites de sites. J’etais tout a fait a l’aise donc j’ai commence a plaisanter . Maints fous rires et plasanteries reciproques. Je decouvris que c’etait beaucoup mieux que les virees avec une bande de garcons.

Notre chauffeur les amena a l’hotel a l’heure. Elles etaient habillees pour la soiree, et j’avais un veston. J’etais fier comme Artaban parce que nous etions, ou plutot elles etaient -- surtout BN -- magnifiques et radieuses. Des hommes murs auraient ete fiers de les avoir comme compagnes. Elles etaient deja des femmes et avec elles je me sentais moins jeune garcon. Je commencai a apprecier etre jeune homme. Je leur offris le bras et avec une belle demoiselle a chaque bras je penetrai dans la grande salle a manger.
Le Palace Hotel de ce temps-la etait vetuste, avec des signes d’age partout. Mais il avait un charme certain. Il y avait de gros fauteuils de cuir dans le lobby, et des affiches avanees de longue date qui proclamaient “chasse au tigres en elephant a Ban Me Thuot!” Le restaurant etait une salle tres grande avec des rideaux rouges qui auraient du etre remplacees vingt ans auparavant.
Le menu etait en apparence exquis avec une petite carte au milieu de la table declinant dans les meilleures traditions des arts de la table hors d’oeuvres, entrée, plats, fromage et dessert, avec vins. Le probleme c’est qu’en actualite le menu ne changeait presque pas chaque jour, bien que le petit carton recitait quelque chose de different. Ma famille etait restee au Palace une semaine. Et tous les soirs on servait la meme soupe aux legumes, mais le nom changeait: minestrone, soupe printaniere, potage quatre-saisons. Le cuisinier etait beaucoup plus ecrivain que cuisteau.
Donc ce soir la nous primes de la soupe printaniere. C’est etrange que je ne me souviens plus du nom de mes hotes mais je me souviens exactement du nom de la soupe. Et quel sentiment de puissance quand mes hotes de laisserent passer la commande! “Et mademoiselle prendra…” Pour cet adolescent que j’etais, ce petit geste dans un grand hotel suranne avec des compagnes a faire tourner la tete aux touristes japonais, fut l’un des grands moments de ma jeunesse, un moment extraordinaire, suspendu dans le flot des souvenirs. Ce fut Lance Armstrong passant l’arrivee du Tour de France la premiere fois; ce fut les Red Sox gagnant le World Series. Ce fut la derniere fois que je vis Dalat pour de longues, tres longues annees.
Je perdis BN de vue. Elle est quelque part en France, peut-etre n’ayant aucune recollection de moi. Quant a Y je l’ai croisee plusieurs fois a Marie Curie mais on se parlerent a peine. Si tu te reconnais dans cette histoire,Y de TD, ecris moi. Mon ete de Dalat resta comme une perle solitaire dans son ecrin. Les autres caracteres de l’histoire comme Loc (mais non Hien) et Mai je revis bien sur plus tard assez souvent. Tuyet Lan je rencontrai une fois en France.
C’est etrange comme les plus petits moments peuvent laisser les traces les plus profondes.
> Reaction et avertissement d'un lecteur: "Tu m' avais deja raconte cette histoire en 2007 lors de ton arrivee ...
Maintenant je prends connaissance de ton style ecrit. J' ai beaucoup apprecie ce melange d' Alain Fournier, Proust et Flaubert. Du grand art.
A la fin tu avais parle d' une perle dans son ecrin. Je te propose de l' y laisser. Les plus beaux souvenirs ont un parfum d' inacheve. On se souvient d' une image, on vit avec la realite. Ne reveille pas un 'songe d' une nuit d' ete'. C' est plus beau comme cela."
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