Aux enfants de mes amis, puissent-ils y trouver le meme plaisir que moi
Par romans chinois, je ne parle pas des romans recents de cape et d'epee du genre Kim Dung, l'equivalent du "polar" occidental. Je parle plutot du " truye^.n ta`u," genre traditionnel beaucoup plus ancien qui regroupe des oeuvres tres connues comme le Tam Quo^'c Chi', le Ta^y Du Ky', ou le Thuy? Hu?, en passant par le gros volume du Do^ng Cha^u Lie^.t Quo^'c, et d'autres peut-etre bien moins connues mais tout aussi passionnantes comme Tie^'t Nho*n Quy' Chinh Do^ng, Tie^'t Dinh San Chinh Ta^y.
Ces noms ne peuvent qu'evoquer une recollection immediate des lecteurs familiers avec le theatre traditionnel, que ce soit ha't bo^.i, ca?i lu*o*ng, ou ho^` qua?ng. En effet le theatre prend son inspiration de cette litterature populaire d'origine chinoise. Si bien que pour vraiment apprecier le theatre, il faut avoir une familiarite avec cette litterature. Quand le ministre virtueux Ye^'n Anh, le juge/detective Bao Co^ng, ou le mauvais roi Tru. Vu*o*ng apparait sur scene, il est bon de savoir l'histoire et la periode historique dans lequel le personnage evolue pour vraiment apprecier la piece.
Car les romans chinois sont surtout des romans historiques. Comme les romans d'Alexandre Dumas pere, ils sont sans pareil pour evoquer une periode de l'histoire millenaire de la Chine. Apres la lecture d'un certain nombre d'ouvrages on commence a saisir l'evolution de cette grande civilisation. On peut commencer par le Phong Tha^`n, recreation mythique de l'etablissement de la dynastie des Cha^u, quand les feodaux coalises se liguerent contre l'archetype du mauvais souverain Tru Vuong et sa concubine ehontee -Da('c Ky?. On peut passer par le Phong Kie^'m Xua^n Thu, ou les armees de Qin Shi Huang (Ta^`n Thu?y Hoa`ng) se lancerent a la conquete de la Chine, ecrasant les etats rivaux pour etablir le premier Empire (il y a meme un caractere a la Obi Wan Kenobi de Star Wars qui essaie d'arreter la marche irresistible de l'empire: To^n Ta^?n). Apres cela on peut suivre les fortunes de Lu*u Bang et Ha.ng Vo? dans le Ha'n So*? Tranh Hu`ng quand sur les ruines de l'Empire Qin ils lutterent a mort pour en recueillir l'heritage--qui sera la grande dynastie des Han. L'histoire se poursuit alors avec le fameux Tam Quoc, qui decrit le siecle de troubles qui vit la destruction de l'empire des Han puis la grandeur et decadence des trois royaumes heritiers.
Pour le jeune lecteur ces romans sont irresistibles Ces romans sont avant tout des epopees. Une lecture evoque des scenes a la Kurosawa ou des armees immenses en armures et chariots se confrontent a travers monts et plaines de la Chine antique. On emploie toutes sortes d'armements, meme magiques: epes enchantees, charmes, fleches magiques, demons qui apparaissent a souhait, tout est la pour enchanter le jeune lecteur. On voit aussi des heros bien campes, des gen
eraux superbes comme Ha`n Ti'n, Quan Co^ng, des strateges fins comme Kho^?ng Minh ou Khu*o*ng Tu*? Nha, des ministres inte`gres comme Qua?n Tro.ng ou Ye^'n Anh. Yoda et Luke Skywalker palent en comparaison. Il y a aussi les caracteres feminins inoubliables: Pha`n Le^ Hue^ la conquerante, Die^u Thuye^`n la mata-hari du Tam Quoc, a cote des "mauvaises": Bao Ti? et Da('c Ky?, les deux destructrices d'empire.
Et pour les adultes, il y a les lecons de morale discretes, les complots et statagemes, les conflits ethiques. Faut-il laisser Tao Thao s'echapper? Faut-il rejoindre la rebellion contre l'empereur? On peut trouver aussi des lecons d' economie politique. Par exemple, quand Quan Trong decida de taxer les etablissement de boisson et les lieux de plaisir du Duche de Te^`. Cette politique entraina une hausse de recettes fiscales si considerable que cela permit a Te de s'imposer comme l'etat hegemon de la Chine. Le Duc de Te, Te^` Hoa`n Co^ng. devient le premier ba' (hegemon), le primus inter pares des feodaux chinois. Je pense a Quan Trong chaque fois que j'entend parler d'un projet de casino.
Pour ce genre de recits didactiques, rien ne surpasse le Dong Chau Liet Quoc et heureuses soient les familles ou le rejeton s'interesserait a ce gros tome: il ou elle y recevra une education morale sans pareil. En effet, le DCLQ est en occurence un roman historique, mais c'est en realite une compilation de recits historiques tels qu'on en trouvait dans les grands classiques de la periode confuceenne comme les Trung Dung, Lua^.n Ngu*~, Xua^n Thu et meme le Trang Tu*?, On y trouve des bribes du Ha^.u Ha'n Thu*, du Ha`n Phi Tu*? et surtout du Ta? Truye^.n (sorte de Tacite ou de Suetone chinois). Le recit s'articule autour de paraboles, c'est a dire de petites histoires comme on en trouve dans l'Evangile. En voici une:
Le Roi de So*? a perdu son arc precieux durant la chasse. Il en est desole. Son premier ministre le connsole: "votre majeste a perdu un tresor; quelqu'un parmi votre peuple trouvera pour cette raison un tresor, pourquoi en etes-vous desole (le bonheur du peuple devrant etre la preoccupation principale du souverain)?"
Ou bien lhistoire du vieil homme et de la montagne:
Ngu*u Co^ng (Monsieur Buffle--pour donner toute la saveur en francais, il faudrait l'appeler M. Mule parce que tetu) vit devant une montagne qui lui rend la vie tres penible. Un jour il proclame: "J'en ai marre de cette montagne, je la deplacerai." Tout le monde en rit. Mais M. Mule explique: "je vais transporter cette montagne caillou par caillou, brouette par brouette. Je mourrai avant la fin de la tache; mais apres moi, mes enfants, mes petit-enfants, mes descendants continueront mon travail, et on verra bien. Et apres plusieurs generations, effectivement la montagne fut applanie.
Si vous connaissez l'histoire chinoise du 20eme siecle, cette parabole devrait etre familiere. C'est en effet la legende chinoise favorite de Mao Tse Toung qui l'a repetee plusieurs fois dans maintes interviews. Souvenez-vous aussi que la Grande Muraille de Chine a ete construise a la main.
Et tant d'autres histoires: Ta^y Thi ("ga'i nu*o*'c Vie^.t") et Pha.m La~i, To^n Vo~ Tu*? et Ngo^ Kho*?i (auteurs des classiques "Art de la Guerre"), Ba' Ly' He^`, Ngu~ Tu*? Tu* toute une galerie de caracteres de hat boi. Et certains vraiment picaresques comme dans l'histoire de la paternite de Ta^`n Thu?y Ho`ang.
La mere de Tan Thuy Hoang, la reine de Qin (Ta^`n), avait un amant, le premier ministre La~ Ba^'t Vi. Mais elle etait nymphomaniaque. Pour la controler il lui trouva un paramour, un nomme Lao~ A'i (litteralement Old Mr. Love) individu de basse naissance fameux pour les proportions chevalines de certains organes. Et c'est ainsi que La Bat Vi controla tout le royaume de Tan par l'intermediaire de la reine qui controlait a son tour le roi.
On ne peut que sourire en pensant a l'hostilite de la classe des lettre's, auteurs de la litterature chinoise, envers Tan Thuy Hoang, connu pour son massacre des lettre's et son auto-da-fe des classiques confuceens. Un assassinat par la plume pour la posterite la` ou` Kinh Kha a echoue dans sa tentative d'assassinat par l'epee?
Pour trouver quelque chose de semblable dans les litteratures occidentales il faut aller loin, tres loin en arriere, dans la literature..latine. En effet le livre le plus similaire serait l'Histoire de Rome de Tite-Live (Titus Livius, en anglais Livy). Tite-Live a ce meme genre d'histoires a caractere didactique:
Un jour, un chasme s'ouvra dans le Forum (le Forum romain, pas topica). Les Romains en furent tres effrayes. Ils consulterent les augures. La reponse, obscure bien sur, est que le chasme se refermera si Rome (republicaine en ce temps-la) y jette en offrande ce qu'elle a de plus precieux. Cet equestrien (classe intermediaire a Rome entre les senateurs et les plebeiens), je ne rappelle plus de son nom, reflechit puis rentra chez lui, mit sa plus belle armure, monta sur son plus beau destrier et se jeta dans le chasme qui se referma avec un fracas. La morale de l'histoire: ce que Rome a de plus precieux c'est un citoyen bien ne, pres a se sacrifier pour le peuple et le Senat (SPQR) de Rome. Les republicains font la grandeur de la Republique (et les conquetes de l'empire).
Le Dong Chau Liet Quoc vise a des memes fins, mais au lieu de republicains, il vise a former des confuceens prets a se devouer au peuple et au souverain. On ne trouve pas mieux comme literature juvenile.